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Le Québec pourrait manquer de pétrole

Louis-Gilles Francoeur

Le Devoir

February 5, 2008

 

Mots clés : réserves, pétrole, Énergie, Libre-échange, Canada (Pays)

Le Canada n'a pas de réserves pour protéger les provinces de l'Est

 

Faute de compter sur une «réserve stratégique de pétrole» (RSP) comme les États-Unis et 23 autres pays de la planète, le Canada ne pourrait que faiblement alimenter les provinces de l'Est avec le pétrole de l'Ouest, Québec compris, en cas de choc pétrolier, en raison notamment des contraintes de l'ALENA qui obligent le Canada à vendre en priorité l'essentiel de son pétrole aux États-Unis.

 

C'est ce qu'affirme une étude signée par Gordon Laxer, un économiste de l'Université d'Alberta, intitulée Freezing in the Dark: Why Canada Needs Strategic Petroleum Reserves.

 

Cette étude -- inédite au Québec et en Ontario, les deux principales consommatrices de pétrole dans l'est du Canada -- rappelle d'entrée de jeu que 90 % des besoins en pétrole de l'est du pays proviennent de pays étrangers, ce qui engendre une importante «vulnérabilité à des ruptures d'approvisionnement à court terme». L'essentiel du pétrole de l'Est canadien provient en effet d'Algérie, d'Irak et d'Arabie saoudite, des pays où la situation politique est volatile, et de moins en moins de la mer du Nord.

 

«Le Canada a besoin de réserves stratégiques de pétrole» d'une capacité globale de 76 millions de barils, soit 11 % de celle des États-Unis, lit-on dans cette étude qui nous provient paradoxalement de deux instituts scientifiques de l'Ouest canadien, l'Institut Polaris et l'Institut Parkland.

 

«Malheureusement, écrit son auteur, contrairement à la plupart des pays industrialisés, les gouvernements canadiens des dernières années n'ont pas cherché prioritairement à assurer la sécurité énergétique du pays.

 

Les exportations canadiennes de pétrole vers les États-Unis atteignent 67 % de notre production nationale, et la clause de "proportionnalité" du traité de l'ALENA empêche le gouvernement canadien de réduire cette proportion même en période de crise ici. Et de toute façon, la capacité des pipelines est insuffisante pour permettre au pétrole de l'Ouest de satisfaire les besoins de l'Est en cas de rupture de stock.»

 

L'Agence internationale de l'énergie oblige ses 27 pays membres à se doter d'une réserve stratégique de pétrole sauf s'ils sont des pays exportateurs, ce qui est le cas du Canada. L'Europe, la Chine, l'Inde et «l'anglosphère» constituée des pays britanniques possèdent une RSP depuis longtemps, qui couvre généralement 90 jours de consommation, sans compter la réserve militaire. Les États-Unis possèdent la plus importante réserve nationale connue, laquelle devait en principe passer de 727 millions de barils à un milliard. Mais la stagnation de la production mondiale, qui est censée atteindre son plafond absolu entre 2000 et 2010 selon la plupart des spécialistes, limite actuellement la réserve états-unienne de dépasser à 698 millions de barils. Le président Bush a même plaidé récemment pour porter cette réserve à 1,5 milliard de barils. Quant à la réserve étatsunienne de mazout, elle cible depuis l'administration Clinton les 2 milliards de barils et constitue un élément fondamental de la sécurité énergétique des États-Unis.

 

Une réserve canadienneSelon cette étude albertaine, constituer une RSP coûte cher, et le Canada doit plutôt envisager à court terme d'autres solutions expérimentées ailleurs.

 

Il pourrait, par exemple, faire travailler en sens inverse le pipeline Montréal-Sarnia, qui permet aux raffineries ontariennes de s'approvisionner à même les navires-citernes ancrés au port de Montréal. La métropole québécoise pourrait alors bénéficier du pétrole de l'Ouest qui se rend par d'autres pipelines au principal centre de raffinage ontarien. L'Est du pays et le Québec pourraient ainsi obtenir le tiers de leur approvisionnement outre-mer actuel, selon l'étude.

 

Son auteur, Gordon Laxer, a aussi demandé à l'Office national de l'Énergie, un organisme créé pour assurer la sécurité énergétique du pays, de lui remettre les rapports, analyses ou documents portant sur cette question. La réponse a été navrante, selon l'économiste: il n'y a rien sur cette question à l'ONE ou sur la pertinence de constituer une réserve canadienne ou même pour bâtir une politique qui forcerait l'Ouest à approvisionner l'Est en priorité aux prix internationaux pour éviter aux consommateurs d'ici les aléas de la boulimie et des spéculateurs de l'autre côté de la frontière.

 

Le Canada, ajoutent l'étude, pourrait aussi forcer le pétrole terre-neuvien à filer vers les autres provinces de l'Est en cas de pénurie subite ou même de façon permanente. Cet ajout permettrait de répondre alors à la moitié environ des besoins des provinces de l'Est, ramenant la taille de la réserve cette région à environ 38 millions de barils, ce que le Canada pourrait imposer aux raffineurs d'entreposer, comme en Europe.

 

Si le Canada se dotait en plus d'une stratégie musclée de réduction de ses gaz à effet de serre, diminuant d'autant ses besoins en pétrole, la coûteuse réserve nationale pourrait être alors encore moins importante.

 

Les contraintes de l'ALENAL'étude de l'économiste Laxer insiste beaucoup sur la mainmise des États-Unis sur la production canadienne et, surtout, sur le fait qu'en cas de problème, le Canada est obligé de les approvisionner en priorité en raison des clauses de l'ALENA.

Le traité de libre-échange contient en effet une clause dite de la «proportionnalité», qui oblige chaque pays à assurer à l'autre le maintien de la part des biens et services que le libre marché lui a assuré antérieurement.

 

Comme le Canada exporte 67 % de sa production de pétrole aux États-Unis, même si les provinces de l'Est se retrouvaient en situation de crise énergétique ou si pour quelque raison que se soit, la production canadienne venait à chuter à long terme, le Canada serait obligé de garantir aux États-uniens les deux tiers de son pétrole, comme maintenant. Et si le niveau de production augmente, comme le gouvernement Harper le souhaite, ce niveau plus élevé deviendra le nouveau niveau garanti en vertu de la clause de proportionnalité.

 

Lorsque le Mexique est devenu membre de l'ALENA, ce pays producteur de pétrole a refusé de signer cette clause, refusant de faire passer ses besoins nationaux derrière ceux du monstre énergivore américain.

 

Il faut, conclut l'étude des deux instituts scientifiques, que le Canada obtienne impérativement «l'exemption mexicaine», qui a été consentie à ce pays en raison de sa détermination à ne pas céder sur ce point. Si les États-Unis refusent au Canada le droit de protéger d'abord ses propres consommateurs, «il doit donner l'avis de six mois exigé par la clause de retrait de l'ALENA», conclut l'étude pour qui cette question est si cruciale pour l'économie des provinces de l'Est qu'elle justifie le retrait du traité de libre-échange.

 

«Il est temps, conclut l'étude, que le gouvernement canadien reconnaisse la vulnérabilité des Canadiens et tout particulièrement des Canadiens de l'Est du pays, aux chocs pétroliers des prochaines années et qu'il prenne les mesures nécessaires pour les en protéger.» Selon l'économiste Laxer, il est clair qu'un tel choc surviendra d'ici 10 ans: la seule inconnue, à son avis, c'est la date, mais «cela ne saurait tarder», dit-il.

 

Déjà en décembre dernier, note-t-il, on a connu une pénurie de mazout à l'île du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, faute de réserves pétrolières régionales.

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