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Le Canada, «colonie énergétique» des États-Unis

L'Alberta ne peut plus appliquer sa loi sur l'énergie

Louis-Gilles Francoeur

Le Devoir

May 30, 2008

 

Le Canada a tellement aliéné sa souveraineté en matière d'énergie qu'une province comme l'Alberta ne peut plus appliquer sa loi sur l'énergie, qui interdit l'exportation de son gaz naturel tant qu'elle n'a pas une réserve démontrée de 15 ans, ce qui n'est plus le cas.

C'est ce que révèle notamment une étude signée par deux chercheurs canadiens, Gordon Laxer, de l'institut albertain Parkland, et John Dillon, du Centre canadien des politiques alternatives (www.ualberta.ca/PARKLAND).

Cette étude analyse les impacts sur l'approvisionnement en énergie du Canada à l'aide de trois scénarios de rareté des combustibles fossiles. On y constate que les Canadiens devraient se priver de 8 à 31 million de barils de pétrole pour approvisionner les États-Unis si ce pays invoquait la clause de «proportionnalité» inscrite dans l'ALENA. L'étude ne mesure pas les hausses de prix qui résulteraient de cette rareté accrue de combustibles sur le marché interne.

L'application de cette clause en cas de crise d'approvisionnement en gaz naturel — d'autant plus probable à court terme que l'Alberta ne compte plus que huit années de réserves démontrées, disent-ils — obligerait le Canada à maintenir 51,5 % de ses approvisionnements aux Américains, privant les Canadiens d'une denrée pour l'instant dilapidée notamment dans la production des sables bitumineux pour faire rouler les gros VUS de nos voisins du Sud.

Cette nouvelle étude sur les conséquences de la clause de proportionnalité reconstitue l'histoire édifiante de cette entorse aux dispositions des règles de l'OMC sur le commerce international, qui autorisent tous les pays en cas de crise à approvisionner d'abord leurs citoyens.

Pour les deux chercheurs, le «Canada n'est pas une superpuissance en énergie», comme le prétend le premier ministre Stephen Harper, car ses décisions énergétiques n'ont aucun poids dans la géopolitique internationale. Le Canada, concluent-ils de leurs trois scénarios, est plutôt une «colonie énergétique» des États-Unis depuis qu'il s'oblige à leur garantir un approvisionnement constant à perpétuité, tant que nous aurons des réserves importantes ou lorsque l'ALENA sera remis en question. C'est d'ailleurs ce qu'ils proposent à Ottawa de faire, comme Barack Obama l'a suggéré en menaçant de se retirer du traité pour récupérer notre souveraineté énergétique, comme l'a fait le Mexique en joignant le traité de libre-échange.

La clause de proportionnalité, unique au monde, est exorbitante à plusieurs égards, selon l'étude Laxer-Dillon. Elle assure aux États-Unis, en cas de crise énergétique ou de contraction de la production canadienne, le maintien du pourcentage de livraisons dont ils ont bénéficié durant les trois années précédentes. Le traité ne garantit pas seulement aux États-Unis une proportion précise de la «production» canadienne mais de «l'approvisionnement total», ce qui inclut les importations comme celles du projet Rabaska qui contribuera, confirment les chercheurs, à fragiliser davantage l'approvisionnement en combustible du Canada et du Québec globalement.

D'autres clauses du traité exigent même du Canada qu'il maintienne les canaux de livraison existants, ce qui empêcherait de compenser une baisse des livraisons dans l'Ouest par d'autres dans l'Est ou vice-versa. Le Canada ne pourrait pas non plus substituer une forme d'énergie à une autre. Même s'il dénonçait l'ALENA pour le renégocier, la clause de proportionnalité continuerait de s'appliquer car la loi habilitante votée par le Parlement continuerait de s'appliquer jusqu'à son abrogation.

Trois scénarios

Le premier scénario analysé — celui de la «conservation» — pourrait survenir si le Canada décidait de réduire les impacts écologiques des sables bitumineux, ses gaz à effet de serre, ou tout simplement s'il décidait de se constituer une réserve à long terme. Comme le Canada exporte 47,5 % de son pétrole vers les États-Unis — dont les trois quarts du pétrole extrait des sables bitumineux —, une simple contraction de 10 % de sa production à des fins de conservation aurait pour conséquence de priver ses citoyens de huit millions de barils, ou l'équivalent de quatre journées entières de consommation au pays, si les États-Unis réclamaient l'application de la clause de proportionnalité.

Le deuxième scénario est basé sur la possibilité que le Canada décide un jour de réserver 10 % de son gaz naturel à son industrie pétrochimique, qui fait vivre 25 000 travailleurs oeuvrant dans la fabrication de lubrifiants, de peintures, d'engrais, de plastiques, de nylon, d'équipements médicaux, etc.

Comme le Canada exporte en moyenne depuis trois ans 51,5 % de son gaz naturel aux États-Unis, ce pays pourrait exiger le maintien de ce pourcentage en vertu de la clause de proportionnalité. Les deux chercheurs ont calculé que, dans ce scénario, le Canada devrait priver son marché interne de 627 milliards de pieds cubes de gaz ou l'équivalent de 66 jours de consommation interne, soit deux mois sur douze.

Dans le troisième scénario, dit de substitution, les chercheurs se sont demandé quel serait l'impact d'un renversement du flux du pipeline Enbridge 9, lequel fournit du pétrole à l'Ontario à partir du port de Montréal. Jusqu'en 1999, ce pipeline approvisionnait plutôt le Québec en pétrole de l'Ouest mais depuis, c'est l'inverse. Si on revenait à la situation initiale, l'acheminement de 240 000 barils par jour à Montréal en provenance de l'Ouest (87,6 millions de barils par année) ne pénaliserait pas les consommateurs canadiens en raison de la capacité de production de l'Ouest.

Mais si une crise énergétique obligeait le Canada à mobiliser en plus pour ses besoins internes les 148 millions de barils produits à Terre-Neuve au profit des États-Unis, l'application de la clause de proportionnalité priverait alors le Canada de 31 millions de barils ou de 17 jours d'approvisionnement du marché canadien.

L'impact de cette garantie, qu'aucun autre pays n'a accordée à quiconque, serait d'autant plus sensible que le Canada ne possède aucune «réserve stratégique», comme les États-Unis s'en font avec notre pétrole, notamment. Pour les chercheurs, cette situation est d'autant plus aberrante que la plupart des Canadiens sont convaincus qu'en cas de crise énergétique, le Canada accorderait la priorité à ses propres citoyens, ce qui n'est pas le cas.

«Malgré l'abondance du pétrole sur son territoire, le Canada est le plus vulnérable de tous les membres de l'Agence internationale de l'énergie», concluent les deux chercheurs, parce qu'il a aliéné à perpétuité les «deux tiers globalement» de sa production nationale.

Le Canada doit en faire la «priorité» d'une future renégociation du traité et, pour devancer un éventuel président démocrate étasunien, il ne doit pas hésiter à rouvrir le jeu lui-même s'il est conscient de détenir un des principaux atouts.

 

 

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